dimanche 15 mai 2011

On Top

Je m’étais rendue compte que ma vie était une frustration. Je revenais de plus en plus souvent, cachée. Je ne voulais d’aucune façon retrouver tous ces pilotes, eux qui m’avaient fait rêver et rire. Je ne voulais pas que quiconque puisse me demander où étais je passer, ce qu’il m’était arriver. Je n’avais pas d’excuse. Je me retrouvais avec moi-même souvent et en cherchais, mais mes pensées n’aboutissaient qu’au néant. Je ne savais pas pourquoi, je retournais ma vie pour y chercher des réponses. Mais le luxe des grands restaurants, les caprices de mes enfants, l’incompréhension de l’homme, rien n’était plus important que le rêve de liberté à ces moments où je m’asseyais sur l’herbe sèche volant au gré des hélicoptères, fixant avec mélancolie et plaisir à la fois ces oiseaux magnifiques décollant vers l’Ailleurs ou atterrissant heureux, en un kiss sensuel.

Le temps avait pris le pas sur moi-même, et j’avais oublié qui j’étais. Cette personne là, je l’avais d’abord mise de côté, et puis je l’avais enfouie, loin. Je la pensais oubliée pour toujours et la première fois me revint. Alors je revenais et m’asseyais là, encore, jusqu’à ce que je pousse la porte : toujours la même porte en bois foncé, rustique, munie de long barreaux parallèles se rejoignant en terme d’amour. L’odeur de tabac m’envahie, celle de kérosène ensuite, et je souris. Ce sourire, il me semblait ne jamais l’avoir eu sur mes lèvres. Il était apparu en sauveur, tout comme la poignée de main de cet ancien camarade, qui me regardait dans les yeux, heureux, avec cet air qu’ont les pilotes d’aller au bout d’eux-mêmes, de se rendre compte que la vie, ce n’est que ça. Ce n’est que décider de partir, de s’avancer vers son avion avec son sac sur l’épaule, le carnet de route et les clefs sous un bras, son casque sous l’autre. Ce n’est que caresser son avion comme on ne caressera jamais personne. C’est la Passion même, insouciante et inconsciente.

On ne me posa pas de question. On me proposa seulement de recommencer. Alors je recommençais. Tout. La visité médicale, la formation, l’examen théorique, l’examen pratique. Et après des années de silence, les tours du moteur était une de ces musiques que l’on écoute le soir penché à sa fenêtre, à regarder le monde. Le ciel. J’étais heureuse, comprise par ce monde, mais pas par celui qui avait été le miens trop longtemps. Je m’approchais de mon avion et j’avais envie de lui, des sensations qu’il me faisait ressentir. Je le regardais, le touchais comme si il faisait partie de moi, et ce décollage était une euphorie, la première ligne d’un toxico après plusieurs longues semaines d’abstinence.

Je comprenais enfin. Mon bonheur se contentait de ça. D’un vol. De la liberté, de la fierté, de la domination. De la beauté d’un virage symétrique suite à une montée initiale des plus parfaites, d’airs répétés à voix haute pour se les approprier, d’un atterrissage sur un terrain éloigné entre les quatre éléments : le feu de l’allégresse, l’eau coulant derrière la piste, le désir de l’air, et la terre, l’odeur de barbecue, le silence et les cigales dans les champs. Un briefing de vie. « Nous allons décoller de Lognes en piste 26. Puissance minimale pour le décollage 2250 tours, vitesse rotation 110km/h, vitesse montée initiale 135, puis 150. A 1500ft QNH pour une verticale et un transit Moret. En cas de panne moteur après décollage, vitesse 135km/h droit devant, virage 30° d’inclinaison. »

C’était un dimanche. Je partais. La pudeur d’un petit HR200 ne me contentait plus, les locaux non plus. Je voulais m’en aller, j’en fantasmais. Je suivais la météo précisément depuis trois jours, je regardais le ciel, envieuse des pilotes survolant mon quotidien, moqueurs. Abbeville, Piper, CAVOK. Je n’étais pas seule : il y avait avec moi l’excitation même, et il y avait ceux qui étaient pour moi des Grands. Connaisseurs, passionnés, sûrs d’eux. Eux qui avaient su que la passion devait rester plus forte que tout. Dans un des plus bel avion du monde, pour ses courbes, sa puissance. C’était la souplesse, la légèreté, et la finesse. Une perfection parmi les autres de ce monde. Abbeville, LFOI, nous attendait, un ciel bleu un peu tâché de blanc par moments, l’attirance du soleil, et le sol qui s’éloigne, et qui devient un paysage magnifique qui le sera toujours, mais dont nous seul avons la possession.

Je me souviens avoir eu froid et avoir caché mes mains sous mes cuisses, mais ces frissons étaient dus au plaisir : je fixais l’au-delà par la verrière un peu poussiéreuse, sans jamais m’en réveiller, je regardais la carte, ces lignes droites, ces cercles, ces points de couleur, tous ces symboles qui me confiaient le secret du ciel. Je regardais les instruments, je regardais mes co-pilotes, nous étions en passionnés, en élitistes parce que fou de ça. Nous nous retrouvions là haut, à 7500ft, puis autour d’une table, au sol, à discuter, entres expériences et aventures, à rire, à espionner les secrets dissimulés derrière les portes des hangars, lui et moi à faire de notre avenir un pur fantasme. Je le voulais. Tout avait changé, tout était clair, enfin. Cette vie ne m’avait pas convenue, ce n’étais pas cette habitude que je voulais. Je ne désirais rien d’autre que vol et frustration, assise à ma fenêtre la nuit, regardant les lumières des avions de ligne, respirant l’air et souriant, seule sous les étoiles. Ensemble nous parlions de l’incompréhension, du néant infini entre soi et l’autre, et mon cœur se serrait de l’avoir creusé, d’avoir plongé dans le vide.

Et puis nous nous sommes retrouvés tous là haut, flirtant avec les nuages, les narguant par notre dictature. Je pilotais ce miracle, nageais sur cette couche de coton, plus haut que tout, plus haut que le monde et la vie, en dehors de tout cela, loin, très loin, infiniment loin, et je voyais l’opacité se confondre en des filaments de barbapapa blanchie, tombant vers la terre, doucement et rageusement. Les nuages finissaient par nous surplomber, une descente vertigineuse, et les maisons, les champs, les routes et les rivières, devenaient jouets, un jeu de société que nous regardions rieurs, avant de devenir pions nous aussi. Je me sentais aux commandes d’un Airbus, descendant en finale, près à se poser à Charles de Gaulle, à saluer ses passagers et à leur souhaiter un bon voyage, en se sentant fier et satisfait.

Le temps d’un vol est un bonbon à sucer précautionneusement, un peu piquant lorsque on le pose sur la langue, doux par la suite, et craquant dans ses dernières notes, flambant dans l’incroyable. Le temps d’un vol ne compte pas, il paraît long et trop court à la fois, et toujours, le ciel nous manque. A peine les trains d’atterrissages touchent la piste que l’on désire repartir. Mais nous restons là, en bas, nous descendons de l’avion en souriant, avec des étoiles dans les yeux et le cœur prêt à exploser, et nous savons seulement dire que nous n’oublierons jamais cela. Nous restons debout au bord de la piste, à regarder, à écouter, à discuter et à rire, et c’est un peu de bonheur vécu qui transpire de celui des autres et des mots.

mercredi 23 juin 2010

Dernier adieu avant la pluie.

La porte se refermait doucement en un crissement sourd et lointain, et bientôt la lumière du couloir disparue. Une note s'échappa de la serrure que je fixais de mes yeux déshydratés, attendant le moment où nous serions enfin seuls, elle et moi, coupés au reste de l'immeuble, au reste du monde, sur une planète inconnue. Je sentais ce corps un peu plus lourd qu'il ne m'était apparu sous la légère brise du Nord tourner dans mon dos comme un enfant rêvant de palais et de joyaux. Cette présence barricadait mon coeur et tous mes organes dans une prison d'asphalte qui brûle au soleil. Le canapé de cuir, la petite console de l'entrée en étain, la bibliothèque en acajou, semblaient être sources primaires de lumière chauffées par le soleil qui se faufilait à travers les vitres uniformes des fenêtres. Lorsque la porte fut tout à fait refermée, je lissai le devant de mon veston et me retournai brusquement. Mme Arnoux choisi ce moment même pour retirer son chapeau. Mon regard le suivi, mélancolique. Je me rappelai, dix-sept ans de cela... C'était une fine capote de paille aussi claire que l'écume des vagues caressant le navire, bordée d'un long noeud rose défait qui suivait le vent dans sa course avec le temps. A l'époque, son regard foncé se cachait sous les rebords des champs, et les longs brins de rose se nouaient parfois à ses cheveux. Dissimulée, il y a dix-sept ans, derrière eux aussi. Mystérieuse, il y a dix-sept ans. Et je ne voyais aujourd'hui plus qu'un savant mélange de cheveux blanchis et abimés par le sel marin. L'asphalte me brûlait, les parois de ma prison se resserraient. La lampe sur la console, de sa lumière artificielle, faisait briller cette chevelure qui avait remplacé la beauté de la crinière de jeunesse de la femme que j'avais tant aimé. Je me prenais à rêver de nuit sans étoiles, où tout retrouverait son obscurité, vierge de toute déception, parfumée d'espoirs. Je m'approchai de la console, voulant éteindre la lampe, malheureux de mes habitudes bourgeoises. Je la frôlai. L'entrée enfermait son odeur. C'était le printemps, la violette et le jasmin, c'était le citron pressé entre ses doigts fins pour peigner ses cheveux, c'était la sueur mouillant un peu sa robe, c'était le sang sucré de ses mollets battus par le blé, car elle avait ramené son tablier à ses genoux. Ce n'était qu'un rêve, ou bien était-ce une eau de toilette offerte par monsieur... Pourtant, des gouttes brillantes perlaient de ses racines jusqu'à ses sourcils argents. Les belles richesses du temps passé étaient délivrées par un corps vieillit, et je n'osais même voir sous ces quelques poils courts et épais, les tranchés de la vie sous ses yeux fatigués. L'amour s'était longtemps baladé loin de moi, et pourtant, il paraissait aujourd'hui à mes côtés, je le touchais, je l'embrassais, mais il me semble que je le souhaitais loin encore. Le soleil, derrière la vitre, laissait sa place à un nuage promesse d'orages, et je mourrai de lassitude sous ses éclairs. Je vins à ses pieds, j'imaginais tantôt les cicatrices le long de ses jambes, tantôt les cuisses fines et athlétiques des nageuses de Deauville. Je songeai à ces beautés dissimulées sous cette épaisse robe de cotons et de velours, je transpirais de l'intérieur, je m'en voulais. Difficilement, j'essayai d'avouer à ses yeux creusés et trop grands, dénués de tous les mystères d'antan, des amours que j'avais cru infinis. Me revins alors des images de croisière, photos de jeunesse prises à la dérobée. Je me souvenais de Mme. Arnoux sur un banc récemment repeint à la chaux, nacre vulgaire qui ne lui allait pas, car elle n'était que beauté, que désir, que coeur qui bat. Elle était les bougies de ma vie et décidait de chacun de mes sentiments, par un regard, par une parole, par un geste, lacé de bonnes intentions, d'attentions, de reconnaissance, parfois. Sa peau brunît s'accordait à celle qui avait été sa confidente il fut un temps, mais seulement ce corps et celui de l'enfant collé au sien étaient un mirage sur la brise de l'océan. Rêve presque éphémère, jamais brouillé, et j'entendais encore sa voix douce et sérieuse qui semblait embrasser sa fille de tendresse, et je voyais son regard étoilé de joie. Je me redécouvrais dans ma couchette, prononçant son nom comme une prière inutile, et je me demandais si mes tendresses présentes paraissaient encore véritables. Son visage souriait de rides difficiles, je baissais les yeux. La chaleur de son haleine réchauffait mon corps brûlant de sentiments incompris, berceau d'amour et de déception, quand elle rejoignit sa main à la mienne. j'étais un feu, une cheminée dans laquelle elle se jetait, et pourtant, je me sentais mourir noyé sous l'émotion. Le bout de sa bottine flirtait avec mon genoux, je le lui dis, elle se releva, et m'avoua, sans musique ni douceur, sa jalousie de mes jeunes amantes. J'osai mentir : les vents n'avaient cessé de nous séparer, et je n'avais voulu rester seul. Mais des moments avec d'autres, je ne me souvenais que de rêves d'elle, libre, dans une robe blanche, pure, me cherchant du regard, me serrant contre sa poitrine chaude, deux anneaux identiques au majeur. Elle me serrait entre ses bras, ma gorge se nouait. Je la sentais s'abandonner dans son étreinte, désolée de ne pas m'avoir rendu heureux, et s'offrant à moi comme excuse à toutes les souffrances passées. Le dégoût s'empara de moi, je me retirai de son étreinte, la regardais, regardais ses cheveux trop blancs et son regard trop creux, je voyais ma mère me bercer dans ses bras, moi, enfant encore tout jeune. Brusquement, je me levai, m'offrit une cigarette. Elle s'enjouait de ce qu'elle croyait être de la délicatesse alors que ce n'était que du mépris. Elle repoussait son départ, je prolongeais le temps à ne rien dire, à marcher, sans la regarder. Elle était déjà partie de mon coeur, qui repoussait sa prison : elle fondait. La petite horloge sonna un coup. Cette fois ci, elle repris doucement son chapeau, comme attendant une protestation, et je remarquai le noeud devenu un peu gris. Je souhaitais qu'elle parte, et elle me fit ses adieux. J'avais tant rêvé d'elle près de moi, de son enivrante beauté... J'ouvris la porte : nous ne nous regardions pas. Brusquement, elle releva son visage, son regard me transperçait. A sa demande précipitée, je lui amenai une paire de ciseaux. Elle retira son peigne, et ses cheveux tombèrent sur ses épaules. Elle s'en coupa la plus longue mèche, à la racine de son front transpirant. Elle tomba par terre et chacun de ses cheveux restèrent embrassés. Mme Arnoux me tendit les petits couteaux, se retourna, et bientôt je n'entendis plus le claquement de ses talons sur le parquet ciré. Je me précipitai à la fenêtre. Je la vis descendre les marches du petit perron, et imaginai sa beauté sous son chapeau de printemps luisant sous un soleil nouveau, ses cheveux d'ébène séché et son regard ardent, et je serrai entre mes doigts paralysés d'amour les mèches de sa vie.

mercredi 5 mai 2010

Cinéma théâtral

Le 12 décembre 2009

M. Charles,

Cela doit faire maintenant trente ans que nous nous sommes rencontrés. J’ignore si vous vous souvenez de ce jour joyeux, qui illuminait le froid de décembre de discours et de sourires. Ma troupe jouait alors pour la première fois, une pièce bien connue de l’époque, et les applaudissement couraient de mains en mains, et dés que des paumes brûlaient et qu’un clappement cessait, un autre couvrait le manque, d’une tonalité plus forte. Je me souviens encore, saluant sur scène, avoir vu une silhouette s’éclipser, et je m’étais dis alors que ceci était gonflé. Plus tard, vous m’avouerez qu’il s’agissait de vous-même. A la sortie des artistes, sous un parapluie couvert de neige virevoltante comme le rêvent les enfants le soir de Noël, vous m’attendiez. Vous m’avez présenté une main brûlante, couverte d’un gant en velours portant des initiales de marque. Je su dés lors à qui j’avais à faire. Il y a trente ans, on ne connaissait pas votre visage, mais uniquement ces deux morceaux de peau couverte de tissus de luxe. Je vous ai tendu la mienne, et, en vous regardant droit dans les yeux puisque vous souteniez mon regard, j’avais honte, et mes mains devenaient moignons. Sans un mot, vous vous êtes tourné, et avez avancé. Sans un mot, je vous ai suivi dans ce café. Là, un sourire s’est enfin dessiné au bord de ce visage redoutable, et s’en ai suivi une puissante mélopée de félicitations et de sentiments. Je me rapetissait au fond de mon siège en cuir, et vous grandissiez pourtant dans mon cœur et dans mon esprit grâce à vos compliments simples et sans détournements. Puis, vous vous êtes levé brusquement, avez posé votre main pour une première fois dénudée sur mon épaule, et m’avez juré : « Vous deviendrez grand. »

Je le suis aujourd’hui. Hélas, je me meurs. Vous vous en doutez sans doute : je me battrais jusqu’à la fin, jusqu’à mon dernier souffle : plutôt mourir d’épuisement que de cette congestion pulmonaire qui ne cesse de me tuer. Je ne volerais pas la mort de Molière. Cependant, j’ai une dernière bataille à accomplir, et je me moque qu’elle soit fatidique.

Depuis 1965, depuis George Wilson au Théâtre National Populaire, la magnificence de L’illusion Comique n’a cessé d’être adaptée et réadaptée, par des metteurs en scène plus ou moins talentueux. Je n’affirme pas l’être. Ma dernière volonté ne l’est pas. Seulement : de toutes les pièces que j’ai eu le loisir de voir durant mes trente ans de carrière et de toutes celles que j’ai pu admirer quand j’étais encore un jeune homme bien naïf, je n’ai jamais trouvé de Corneille mise en scène satisfaisante. Et pourtant au jour d’aujourd’hui, où les plaisirs futiles cinématographiques et télévisuels sont devenus des satisfactions d’avantage côtoyés que la science théâtrale, il me semble que l’œuvre de cet Immense Dramaturge qu’est Corneille mériterait une place d’honneur sur les programmations des plus grandes salles de théâtre. Je suis certain qu’en l’écrivant, il savait déjà que sa pièce serait toujours d’actualité quatre siècles plus tard, et que nous solliciterons même son aide. En effet, je pense que nous avons besoin du rapport à l’image qu’il démontre dans L’illusion comique aujourd’hui ; parce que les rires bourgeois m’ont lassés, parce que j’en veux enfantins, j’en veux incompréhensifs, j’en veux curieux, je veux voir n’importe qui dans les salles obscures à chacune de mes représentations. J’ai l’envie « pré-mortem » de faire partager la jouissance morale que procure le théâtre. Je pense que trop de jeunes, et la maladie atteint les plus âgés au fur et à mesure, ne comprennent pas ce qu’est la comédie. Or, s’il y a une seule et unique pièce la présentant, il s’agit de celle-là.

Alors, je veux ce que je n’aime pas (et je ne l’aime pas parce que je ne sais pas le faire). Je veux du cinéma. Je veux transformer cette pièce en film grand public. Vous me détester à présent, je le devine. Tous vos espoirs fondés en moi se trouvent disloqués par cette simple phrase. Mais, oui, c’est ce que je souhaite : moderniser le baroque. Et pour ce faire, je choisis une panoplie d’acteur de la Croisette, je choisis des costumes de M. Karl Lagerfeld, je choisis des décors par M. Bernard Péault, chef décorateur pour le cinéma, mais pour directeur de tous ces individus pour qui je ne porte absolument rien, et surtout pas de l’admiration, je choisis Corneille. Exactement. Tout cela est très précis, calculé. Et tout a été pesé et mesuré. Je ne cherche pas à vous plaire une dernière fois. Je cherche à plaire à ceux que toute cette entreprise n’a jamais intéressée. Alors : nous ne garderons de Corneille seulement sa poésie. Je ne souhaite rien y changer, et garder ses vers mot pour mot, trait pour trait. Mais transformer chaque décors et chaque costumes tous passés en revue maintenant : la grotte d’Alcandre deviendrait salon obscur de magie noire, une énorme image serait projetée sur le rideau de scène, puis il se soulèverait, lourd et menaçant, et s’ouvrirait sur la même scène, véritable, un café de banlieue ! Matamore et Clindor discutent devant un alcool fort, deux tables plus loin, Isabelle et Adraste sirotent un thé ! Puis, il s’agit de banc de lycée, de collège de bureau ! Chacun est vêtu d’un ornement différent, Isabelle et Clindor seuls porte une toilette d’époque, afin de les remarquer aisément, de leur donner une ampleur plus conséquente, Lyse un costume d’homme, Matamore une panoplie de Casque Bleu ! Et mes acteurs ne seront pas comédiens, mes acteurs se croiront encore face à une caméra, mes acteurs oublieront un peu le public face à eux ! Je les trierais sur le volet ! Ils seront déjà reconnus !

Mais voilà que je m’emporte… On me l’a dit : je meurs. Mais je ne peux pas partir avec ce souvenir là, celui que le théâtre reste un divertissement bourgeois. J’aimerais que chacun puisse se rendre compte qu’il peut y trouver un bonheur épuré, que les orphelins y trouvent une nouvelle famille, les junkies une nouvelle drogue, les amoureux une nouvelle passion, les dépressifs une nouvelle raison, les retraités une nouvelle occupation, les pauvres un plaisir, les cadres un nouveau patron… Oui. A partir de là, le théâtre veillera sur eux comme le Saint Patron de leur vie, ou alors, de leur bonheur, comme il l’a fait tout le long de ma bien belle existence…

Marc.

vendredi 2 avril 2010

Comédie et eau de citron

Je me suis installée à la terrasse d’un café parisien, j’ose profiter du soleil renaissant. Je fume. Première cigarette du printemps. Paris… Chaque petite vaguelette de la Seine semble briller d’une lumière pure, dorée, pareil à la croûte d’une tarte aux pommes. Les passants se dépêchent, le monde semble pressé. De quoi ? Pourquoi croit-on que la vie court plus vite que soit, que l’on se doit de la rattraper ? J’ai tellement attendu ce jour, fin de la Mort dirigée par le temps, l’hiver, où je pourrais enfin me sentir sereine, les bras nus, les yeux protégés par des immenses verres opaques, un chapeau posé sur ma tête. Le jour où je savourerais une eau de citron, une cigarette, en regardant les gens marcher de pas lourds, poids de la société. Le jour où je connaîtrais les premières inspirations printanières…

Ce qui s’élève devant moi est la Beauté par excellence. L’intelligence qui l’a imaginée, les sciences qui l’ont réfléchis, et les mains qui l’ont façonnées, ne peuvent qu’être sources d’admiration. Je côtoie la Comédie Française de quelques rangées de voitures, parasites brisant mon paysage et que mon esprit tente de faire disparaître. Je ne sais pourquoi je la trouve si belle, alors qu’on a su fonder dans la capitale des monuments de richesse et d’ornements bien plus majestueux. Je la trouve vivante. Elle m’apparaît comme un reflet de la vie, de la société, parce qu’en elle, milles et une pièces ont été jouées, milles et un comédien en a foulé les marches, des plus connus, des Hommes d’il y a des siècles qui renaissent dans les vers de leurs personnages remodelés au temps d’aujourd’hui, jouant une vie qui n’est jamais la mienne.

Je suis allée voir une vieille pièce de Corneille aujourd’hui. Seule. Je préfère. Ainsi, plus rien ne me rattache à la réalité, je me fonds dans la comédie comme si j’y jouais, comme si j’y vivais. Lorsque je quitte cette salle, la salle Richelieu, je me sens confiante, heureuse, comme si j’avais été regardée, écoutée : les gestes amples et exagérés des comédiens, leur voix tonitruante tout en étant douce et mélodieuse, leurs costumes et leur environnement, tout cela fait travailler mon imagination pour m’imprégner de la poésie, jusqu’à me sentir dramaturge et poète moi-même, et je crois parfois pour moi les applaudissements finals. Comme à chaque fois, j’ai quitté mon siège magenta pour adopter un sourire enthousiaste accouché par des acteurs se donnant pour moi. Tout du moins est-ce l’impression que j’ai eue et que je ne cesse d’avoir. Se sentir importante, avoir la sensation d’exister et que l’on nous ait remercié de cela par une représentation… Sentiment décuplé à chaque eau de citron que je sirote après une pièce. Cette boisson prolonge un plaisir culturel, et m’aide à réfléchir. Voilà pourquoi je ne suis jamais allée, depuis mes seize ans de vie, au cinéma. Mes parents ne m’y ont pas habitués ; j’ai préféré connaître la magie du spectacle, de la comédie devant moi, de la réalité ou du mensonge juste bien interprété, plutôt qu’une succession d’images trafiquées, d’acteurs surpayés grâce à nos entrées dans des salles obscures dénuées de toute beauté et de nos billets échangés contre un disque répétant toujours les mêmes films, les mêmes séquences. Pour moi, le monde du cinéma est un mensonge, une hypocrisie, qui s’étend au même degré que la liste de sois disant acteurs qui le peuplent. Les comédiens me paraissent tellement meilleurs, tellement plus vrais…

J’ai eu aujourd’hui une sensation que je ne connaissais pas, alors que L’illusion comique est une pièce que je me suis déjà fait le plaisir, non ! je dirais même : la jouissance, d’avoir vu plusieurs fois, mise en scène différemment. J’étais irrémédiablement absorbée par le jeu, quand je me suis rendue compte que son auteur, mort depuis des dizaines et des dizaines d’années, ne l’imaginait sans doute pas interpréter de cette manière lorsqu’il l’avait écrit. J’ai eu le sentiment que les acteurs ressuscitaient Corneille à chaque vers. A chaque rime, je comprenais mieux ce qu’il avait voulu dire, ce qu’il avait voulu critiquer, le message qu’il avait voulu faire passer. Avec le recul, je suis maintenant capable de lister toutes les pièces que j’ai pu voir, j’ai pu m’y replonger (en commandant plusieurs eaux de citron), et réaliser quelque chose qui m’a fait comprendre mon amour pour le théâtre : chaque dramaturge a voulu critiquer, ou faire remarquer, un fait social, collectif ou propre à chacun (ici : la sévérité, la culpabilisation, l’amour entre père et fils, l’illusion, la naïveté employée face au dernier espoir…), et chaque metteur en scène, d’une manière ou d’une autre, fait revivre par un jeu l’auteur des idées qu’ils se sentent incapable de formuler. Et cela n’est possible que lorsque l’illusion, s’il y a lieu, est devant soi.

Photo : Le café de Flore - Jeanloup Sieff

mercredi 13 janvier 2010

Dieu

Mercredi 7 avril 2003
Dieu,
Aujourd’hui, ma vie va s’achever. Ou plutôt devrais je dire : aujourd’hui, je m’achève. Parce que ce que j’ai vécu n’est pas une vie. Et je T’écris une lettre, à Toi Dieu, parce que je pèche, encore. Même ma mort est un péché. Toute ma vie l’a été. Je pense en écrivant cette lettre que je n’aurai pas du vivre. J’aurai du repartir de là où je venais, j’aurai du dés le début marcher là où la société m’a enfermé toute ma vie : un couloir. Je n’ai suivit qu’un couloir dans lequel j’ai du faire marche arrière. Je le connais par cœur aujourd’hui, et je n’en peux plus de le voir. Il est vide. Les murs sont blancs. Hôpital. La mort. Encore la mort. Elle m’a suivie. Je suis né noir dans un couloir blanc. Le contraste était déjà proclamé.
Je pense qu’il y a trois tares pour la société aujourd’hui : il y a les Noirs, il y a les pauvres, et il y a les homosexuels. Je peux donc dire que je suis une tare multipliée par trois. Et c’est dur. Pourtant, je ne m’en suis jamais plaint. Je crois que mes Pauvres et Miséreux parents Noirs m’ont trop mal éduqués… J’aurai du crier comme tant d’autres artistes. J’aurai du me shooter à la cocaïne et écrire et crier « Dieu, je suis une pédale ! ». Ah ! cette insulte, je l’ai tant entendue. Oubliez l’apostrophe et vous saurez ce que j’ai le plus entendu dans ma vie. Des noms de footballeur s’attachaient à moi sans que je ne m’attache à leur sport, parce que les gens, n’importe qui et tout le monde, ne font plus la différence entre chacun : Henry est Noir, ce Noir s’appellera Henry, et on lui criera dans la rue qu’on est les champions. Rien que l’utilisation de ce pronom, « on », prouve bien que le monde n’est plus qu’un.
Aujourd’hui, j’en veux à tellement de gens que je ne sais plus à qui me plaindre, alors je T’écris. Mon statut transformera cette lettre en posthume, et le monde saura enfin mon nom. Je suis un raté, parce qu’écrivain célèbre et endetté, au nom inconnu. Mais ce n’est pas le pire. Le pire, c’est toujours le dernier : on m’a toujours dit qu’étant le cadet de la famille, j’avais été fait avec des restes. Ma famille a eu beaucoup d’humour… Le pire, c’était que je n’ai jamais su cacher le sentiment le plus fort. Et le plus fort c’est l’Amour. Je me suis introduit comme un péché et pour cause : j’ai menti, écris un tas de livres dont des autobiographies mensongères, je n’ai Ô non jamais fait vœux de chasteté bien au contraire, et mieux, je péchais dans mon péché sexuel. Je suis une tare anormale. L’homosexualité ne devrait pas être perçue comme telle. Si j’écris aujourd’hui, c’est pour tous les dérangés de mon espèce, tous les animaux qui peuplent la Terre et que Tu devrais exterminer avant qu’ils ne le fassent du peuple que tu as créé. Te souviens Tu d’Eve, d’Adam ? Tu as créé deux êtres magnifiquement différents, et les Autres les contaminent, les envahissent de l’intérieur. Fais attention Grandeur, Tu seras bientôt perdu Toi aussi. Mais je prierai pour eux dans ma mort. N’est-ce pas contradictoire ? Je prierai pour leur liberté, leurs droits, je me mettrai à genoux avant de sauter, et je chuchoterai Ton nom pour eux. Quelqu’un m’a dit un jour que la liberté, c’est quand on n’a plus de désirs, plus d’envies. Je pense que la liberté est de pouvoir les réaliser. Et je me demande pourquoi toute ma vie, j’ai été emprisonné. Pourquoi jamais je n’ai pu me sentir libre de pouvoir faire tout ce dont j’avais envie ? On m’a retiré le mariage, on m’a retiré la descendance… Pourquoi m’a-t-on empêché de vivre l’amour avec la personne que je n’ai cessé d’aimer alors qu’il rend si heureux ? Se blottir dans les bras de quelqu’un, sentir sa chaleur se combiner à la votre, se purifier avec son rire, s’hydrater de ses paroles… J’ai quarante ans. Deux tiers de ma vie durant, je me suis endormi sur un tas de feuilles cornées pour ne pas retrouver un lit abandonné parce qu’on l’aura vidé de ses amours. Mes écris sont noctambules, en manque de présence. Je n’étais ni pédophile, ni violeur, j’étais juste célèbre et homosexuel, et on a voulu faire de moi un intrus. Et est-ce qu’un homme qui ne demande qu’à être aimé par son semblable doit il être considéré comme le poison ? L’artiste n’a toujours été qu’un poison, et l’artiste marginal n’est que pire encore. L’artiste est alors un incompris voué à l’échec, voué à mourir.
Je suis Claude Gueux et je meurs d’avoir été séparé de l’Amour. Je suis l’Etranger et je plonge pour mourir le plus loin de Toi, parce que tu m’as abandonné.
Bien à Toi, Puissant. Marc.

lundi 11 janvier 2010