mercredi 23 juin 2010

Dernier adieu avant la pluie.

La porte se refermait doucement en un crissement sourd et lointain, et bientôt la lumière du couloir disparue. Une note s'échappa de la serrure que je fixais de mes yeux déshydratés, attendant le moment où nous serions enfin seuls, elle et moi, coupés au reste de l'immeuble, au reste du monde, sur une planète inconnue. Je sentais ce corps un peu plus lourd qu'il ne m'était apparu sous la légère brise du Nord tourner dans mon dos comme un enfant rêvant de palais et de joyaux. Cette présence barricadait mon coeur et tous mes organes dans une prison d'asphalte qui brûle au soleil. Le canapé de cuir, la petite console de l'entrée en étain, la bibliothèque en acajou, semblaient être sources primaires de lumière chauffées par le soleil qui se faufilait à travers les vitres uniformes des fenêtres. Lorsque la porte fut tout à fait refermée, je lissai le devant de mon veston et me retournai brusquement. Mme Arnoux choisi ce moment même pour retirer son chapeau. Mon regard le suivi, mélancolique. Je me rappelai, dix-sept ans de cela... C'était une fine capote de paille aussi claire que l'écume des vagues caressant le navire, bordée d'un long noeud rose défait qui suivait le vent dans sa course avec le temps. A l'époque, son regard foncé se cachait sous les rebords des champs, et les longs brins de rose se nouaient parfois à ses cheveux. Dissimulée, il y a dix-sept ans, derrière eux aussi. Mystérieuse, il y a dix-sept ans. Et je ne voyais aujourd'hui plus qu'un savant mélange de cheveux blanchis et abimés par le sel marin. L'asphalte me brûlait, les parois de ma prison se resserraient. La lampe sur la console, de sa lumière artificielle, faisait briller cette chevelure qui avait remplacé la beauté de la crinière de jeunesse de la femme que j'avais tant aimé. Je me prenais à rêver de nuit sans étoiles, où tout retrouverait son obscurité, vierge de toute déception, parfumée d'espoirs. Je m'approchai de la console, voulant éteindre la lampe, malheureux de mes habitudes bourgeoises. Je la frôlai. L'entrée enfermait son odeur. C'était le printemps, la violette et le jasmin, c'était le citron pressé entre ses doigts fins pour peigner ses cheveux, c'était la sueur mouillant un peu sa robe, c'était le sang sucré de ses mollets battus par le blé, car elle avait ramené son tablier à ses genoux. Ce n'était qu'un rêve, ou bien était-ce une eau de toilette offerte par monsieur... Pourtant, des gouttes brillantes perlaient de ses racines jusqu'à ses sourcils argents. Les belles richesses du temps passé étaient délivrées par un corps vieillit, et je n'osais même voir sous ces quelques poils courts et épais, les tranchés de la vie sous ses yeux fatigués. L'amour s'était longtemps baladé loin de moi, et pourtant, il paraissait aujourd'hui à mes côtés, je le touchais, je l'embrassais, mais il me semble que je le souhaitais loin encore. Le soleil, derrière la vitre, laissait sa place à un nuage promesse d'orages, et je mourrai de lassitude sous ses éclairs. Je vins à ses pieds, j'imaginais tantôt les cicatrices le long de ses jambes, tantôt les cuisses fines et athlétiques des nageuses de Deauville. Je songeai à ces beautés dissimulées sous cette épaisse robe de cotons et de velours, je transpirais de l'intérieur, je m'en voulais. Difficilement, j'essayai d'avouer à ses yeux creusés et trop grands, dénués de tous les mystères d'antan, des amours que j'avais cru infinis. Me revins alors des images de croisière, photos de jeunesse prises à la dérobée. Je me souvenais de Mme. Arnoux sur un banc récemment repeint à la chaux, nacre vulgaire qui ne lui allait pas, car elle n'était que beauté, que désir, que coeur qui bat. Elle était les bougies de ma vie et décidait de chacun de mes sentiments, par un regard, par une parole, par un geste, lacé de bonnes intentions, d'attentions, de reconnaissance, parfois. Sa peau brunît s'accordait à celle qui avait été sa confidente il fut un temps, mais seulement ce corps et celui de l'enfant collé au sien étaient un mirage sur la brise de l'océan. Rêve presque éphémère, jamais brouillé, et j'entendais encore sa voix douce et sérieuse qui semblait embrasser sa fille de tendresse, et je voyais son regard étoilé de joie. Je me redécouvrais dans ma couchette, prononçant son nom comme une prière inutile, et je me demandais si mes tendresses présentes paraissaient encore véritables. Son visage souriait de rides difficiles, je baissais les yeux. La chaleur de son haleine réchauffait mon corps brûlant de sentiments incompris, berceau d'amour et de déception, quand elle rejoignit sa main à la mienne. j'étais un feu, une cheminée dans laquelle elle se jetait, et pourtant, je me sentais mourir noyé sous l'émotion. Le bout de sa bottine flirtait avec mon genoux, je le lui dis, elle se releva, et m'avoua, sans musique ni douceur, sa jalousie de mes jeunes amantes. J'osai mentir : les vents n'avaient cessé de nous séparer, et je n'avais voulu rester seul. Mais des moments avec d'autres, je ne me souvenais que de rêves d'elle, libre, dans une robe blanche, pure, me cherchant du regard, me serrant contre sa poitrine chaude, deux anneaux identiques au majeur. Elle me serrait entre ses bras, ma gorge se nouait. Je la sentais s'abandonner dans son étreinte, désolée de ne pas m'avoir rendu heureux, et s'offrant à moi comme excuse à toutes les souffrances passées. Le dégoût s'empara de moi, je me retirai de son étreinte, la regardais, regardais ses cheveux trop blancs et son regard trop creux, je voyais ma mère me bercer dans ses bras, moi, enfant encore tout jeune. Brusquement, je me levai, m'offrit une cigarette. Elle s'enjouait de ce qu'elle croyait être de la délicatesse alors que ce n'était que du mépris. Elle repoussait son départ, je prolongeais le temps à ne rien dire, à marcher, sans la regarder. Elle était déjà partie de mon coeur, qui repoussait sa prison : elle fondait. La petite horloge sonna un coup. Cette fois ci, elle repris doucement son chapeau, comme attendant une protestation, et je remarquai le noeud devenu un peu gris. Je souhaitais qu'elle parte, et elle me fit ses adieux. J'avais tant rêvé d'elle près de moi, de son enivrante beauté... J'ouvris la porte : nous ne nous regardions pas. Brusquement, elle releva son visage, son regard me transperçait. A sa demande précipitée, je lui amenai une paire de ciseaux. Elle retira son peigne, et ses cheveux tombèrent sur ses épaules. Elle s'en coupa la plus longue mèche, à la racine de son front transpirant. Elle tomba par terre et chacun de ses cheveux restèrent embrassés. Mme Arnoux me tendit les petits couteaux, se retourna, et bientôt je n'entendis plus le claquement de ses talons sur le parquet ciré. Je me précipitai à la fenêtre. Je la vis descendre les marches du petit perron, et imaginai sa beauté sous son chapeau de printemps luisant sous un soleil nouveau, ses cheveux d'ébène séché et son regard ardent, et je serrai entre mes doigts paralysés d'amour les mèches de sa vie.

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