dimanche 16 août 2009

F-GMXL vaut tous les Space Mountains du monde

Je suis assise contre un hangar, sur une herbe sèche et jaunâtre. Mon chef m’a accordé gracieusement une journée de congé, après une période difficile où nous livrions plus qu’à la normale, et j’en étais arrivée à un degré de stress, de fatigue, et de folie, qui me faisait voir des millefeuilles de pommes, des veloutés de fois gras, des crèmes de truffes, des fondant au chocolat, des onglets de bœufs et des tartares de saumon dés que mes paupières découvraient mes pupilles déshydratées.
Cela doit faire trois ans maintenant, que je n’ai pas volé. Je n’en n’ai jamais trouvé le temps. Le seul qui m’étais offert, je l’ai toujours passé à écrire, à m’occuper de ma famille… L’altitude me manque. Les sensations de pilote me manquent. La voix nasillarde du contrôleur de la tour me manque. Trois ans. Oui c’est cela, ça fait trois ans, à quelques semaines près. Mon dernier vol remonte à la veille de ma première journée en tant que femme active avec emploi. Je n’avais jamais imaginé qu’il allait être le dernier. Si je l’avais su, j’aurai voulu le perfectionner, faire en sorte qu’il soit le plus beau, que cette heure au niveau des oiseaux soit la plus parfaite, la plus sensationnelle…
Mais je ne pense pas que même si j’avais essayé, j’aurai pu réussir. Il y a des sensations qui sont inimitables, des sensations qu’on ne sait pas décrire, des sensations qui nous prennent et nous emportent qu’une seule fois dans notre vie… Certains ne les connaissent pas, et ces gens là sont ceux que je plain le plus. Il y a différentes façon de se sentir au plus haut, d’avoir le cœur qui bat le plus vite, d’être tellement heureux, de réaliser un moment que l’on a tant attendu. La première fois que l’on fait l’amour, notre premier Space Mountain, la nuit où l’on fait le mur, où l’on brave des interdits, la fois où l’on rencontre une idole, qui nous paraissait jusque là fictive… C’était la plus belle période de ma jeunesse. J’aimais et j’étais aimée, je passais des vacances de glandeuse parisienne sous un Soleil plus ou moins chaud, je sortais, je riais, j’embrassais… et je volais. J’avais commencé un an auparavant, j’avais seize ans. J’avais beaucoup de cours à cette époque, parce que mon instructeur m’avait confié que j’étais proche du lâché.
C’était le six août. C’est une date que l’on n’oublie pas. Comme d’habitude, mon père m’avait emmené à l’aéroclub, et puis il était reparti. Encore une fois, j’aurai voulu qu’il reste, que par ce lien invisible qui créer une famille, il me donne du courage, il me transmette son savoir de l’aviation. J’avais peur. Mon instructeur était sûr de lui, et après quatre tours de pistes presque parfaits, il m’invita à aller au Parking Tour, au lieu du parking de mon aéroclub. J’avais compris. Je coupais les gaz, j’avais peur, mon cœur battait vite. Il me rappela de faire attention à mon plan en finale, et de ne pas arrondir trop haut. Il sortit du cockpit, me rappela :
« Si tu ne le sens pas, remise de gaz ! »
Je fermai un peu la verrière, respirai un grand cou, et m’annonçai sur la fréquence sol, pour des tours de piste. Je poursuivais, roulai jusqu’au point d’arrêt après avoir laissé passer un avion dans lequel les occupants me saluaient. Je vérifiai les commandes « Avant décollage », passai sur la fréquence tour, 118.6, et attendais l’autorisation de décoller. Je m’alignai sur la piste, le plus parfaitement en son milieu, entre le « 0 » et le « 8 ».
« X-Ray Lima autorisé décollage piste 08 dure. »
Je poussai sur la manette de gaz en chuchotant « Rock’N’Roll ». Plein régime. J’annonçai « Badin actif », pour moi-même, et attendais d’atteindre les 110km/h, où enfin, je tirai sur le manche, mon avion se cabrait, et je volais. Seule. Pour la première fois. Je virai au cap 120, coupai la pompe, rentrai les volets, virai à nouveau à droite des lignes haute tension, puis à droite de l’autoroute. Je préparai ma vent arrière, m’annonçai pour un touché sur la 08 gazonnée, et tournai à nouveau au « bâtiment H ». Là, je passai à 1700 RPM de puissance, 500 pieds/minute. Je regardai à ma gauche, observai la piste, cherchai dans la forêt une lignée de sapins qui me signalaient mon dernier virage. Je cherchais mon axe approximativement, mettais les volets à 20°, et corrigeais mon axe, mon plan, ma vitesse.
« X-Ray Lima autorisé touché 08 gazonnée. »
Je compensai à cabrer. Il me semblait que pour une fois, mon plan était parfais. Ma vitesse était juste un peu basse, je poussai sur le manche. J’imaginais mon père m’observant au bord de la piste. Je pensais à ma mère qui venait d’apprendre que j’étais réellement toute seule dans l’avion. J’arrivais au seuil, je réduisis tous les gaz, poursuivis encore un petit peu ma descente, et puis bloquai mon avion sur une assiette de palier, puis de légère monté. Et j’attendais. Quand il me semblai que je n’étais plus trop haut, je tirai un tout petit peu sur le manche. Le train principal toucha le sol, puis la roulette de nez. Je me mis à sourire, à rire même, j’avais presque envie de pleurer. J’avais réalisé un rêve, une fierté. Je remis les gaz, poussai la réchauffe carbu., descendai les volets à 10°, et renouvelai l’opération. C’était mon dernier tour de piste, je m’annonçai pour un complet. A nouveau en finale, j’imaginais mon père, me regardant avec fierté, espérant que je réussisse comme lui il avait réussi auparavant. Je passai un peu au-dessous de mon plan, corrigeai.
« X-Ray Lima en finale pour la 08 gazonnée.
- X-Ray Lima autorisé atterrissage piste 08 gazonnée. »
Je répétai, corrigeai mon plan, ma vitesse… Au seuil de piste j’attendais le plus longtemps possible pour que mon atterrissage soit le plus doux. Kiss. Je gardai mon manche arrière, ralentissais doucement, tournai à la première sortie doucement, sans déraper. Je m’arrêtai derrière les plots, vérifiai ma check-list atterrissage, passai sur la fréquence sol…
« Lognes Sol, Fox-Golf Mike X-Ray Lima rebonjour, piste dégagée pour le parking Paris-Est.
- X-Ray Lima rebonjour, rouler par la droite, croiser avant Novembre et quitter à Paris –Est… Et félicitations ! »
Je lui répondis un tout petit merci. Je riais et pleurais en même temps, en roulant, en prenant presque le Taxi-Way pour une aire de rallye. J’étais tellement heureuse. L’impression de dominer là haut, d’être libre, d’être supérieur, capable de tout. D’être au summum de la puissance, de pouvoir maintenant épater…
Mon père m’avait regardé, en fait. La veille aussi d’ailleurs. Il m’a embrassé, m’a félicité. Mon instructeur aussi. Il devait vraiment avoir confiance en moi ; il m’avait laissé toute seule dans un appareil que personne n’a jamais réussi à dominer, mais que quelques personnes ont voulues apprendre à contrôler. Je faisais partie d’eux maintenant. J’étais pilote.
Je regrette de m’être arrêté. En y réfléchissant, je n’ai pas trop eu le choix. Je prends maintenant, en même temps que j’écris, la décision de m’y remettre. D’emmener tous ceux que j’avais promis d’emmener. Mon père d’abord. Et ma mère aussi… Je veux voler. Je ne veux pas rester assise contre ce hangar, je veux m’approcher de cet avion, comme eux, un casque, un carnet de bord, et une check-list à la main. Sûr d’eux. Je l’ai été, je veux voler à nouveau.