samedi 14 novembre 2009

Avant, ma mère était un sushi

Je me souviens encore de la première fois où j’ai regardé ma mère pleurer. Je l’avais déjà vu, mais jamais regardée. Parce que cela me torturait le cœur, ses larmes étaient des poignards qui s’enfonçaient en moi. Ce jour-là, j’envisageai mon dernier sushi d’un air consterné, et j’y enfonçai ma fourchette violemment. Toute la construction s’effondra. Je voyais ma mère à travers ce petit paquet de riz cassé en deux. Elle était un petit paquet de riz. Et puis mes yeux roulèrent vers les siens. Elle me fixait attentivement. Se disait-elle à ce moment là que j’étais sa fille, que ce n’était pas à moi qu’elle devait dire tout cela ? Je ne sais pas. Je n’en pouvais plus.
C’était les premiers jours après son départ. Elle avait pris un an à se décider, plus le temps passait, plus nous croyons l’étau se desserrer. Et puis non, un jour, elle nous a jeté : « Je pars. » Je crois que l’on mangeait des sushis ce jour là aussi. Depuis, je ne la voyais que pleurer, pleurer toutes les larmes retenues depuis vingt ans. Chaque midi, quand nous nous retrouvions face à un plat de surgelés, elle me posait des questions sur la santé de mon père, la mienne, et à chaque fois je lui répondais tout ce que je pensais, absolument tout, et à chaque fois elle pleurait. Elle me parlait d’une voix faible et chevrotante, elle m’expliquait les raisons de son choix, et c’était moi qui aurait dû pleurer, parce qu’elles étaient minables, parce que sa décision avait fracassé les liens de notre famille. Alors ses yeux s’humidifiaient, se mettaient à briller, et des larmes en coulaient sur le bord de ses joues. Je me levai, lui amenai un mouchoir, et elle, elle retirait ses lunettes, et elle essuyait son visage avec application. Je détestais ça. Elle ne se décomposait même pas, elle pleurait, mais avec dignité. Elle me disait qu’elle n’en pouvait plus de la vie qu’elle vivait : mais si elle avait véritablement pleuré, si des larmes sorties du fin fond de son cœur avaient coulées comme un torrent se déchaîne sur l’amont d’une montagne… alors peut-être serait-elle revenue un jour. Au lieu de cela, elle s’acharnait à me raconter à moi tous les périples du couple parental, comme si elle voulait que je craque, que je cris, que je fuis... Notre relation se résumait à cela : parfois, le soir, je me couchai, et en pensant au fait que je n’avais pas vu ma mère depuis longtemps. Alors le lendemain, je pensais à l’appeler. Nous avons vite appris à ne pas régler nos compte au téléphone : ils empiraient notre situation parce qu’elle, en plus d’aller mal, me faisait mal, parce qu’elle avait laissé une famille parfaite dans laquelle le bonheur l’est presque tout autant, parce qu’elle avait brisé les cœurs dans ce Modèle… Je l’invitai, je lui proposai de manger avec moi. Ces soirs-là, je faisais abstraction de sa tristesse déployée comme un trésor à mes yeux, comme si jamais elle n’avait craqué devant moi. Alors nous mangions, elle me parlait, elle pleurait, je la voyais pleurer sans vraiment y faire attention, et puis je lui disais que je la comprenais. Elle se calmait, me posait une question, et j’essayai de combler un silence qui aurait été trop pesant.
Le jour où j’au eu le courage de la regardé pleurer, et plus seulement vu, me semble être le jour depuis lequel elle a à nouveau rit.

Lettre pour la télévision

samedi 14 novembre 2009
Monsieur,
Je devrais vous remercier parce que l’usage le conseil, mais je n’en suis pas capable. Votre attention ne m’a pas touché, alors que je pense que c’est le premier sentiment qu’elle devrait inspirer pour que quiconque accepte votre proposition. Elle m’a vexé. Vous pensez sûrement que le narcissisme me tuera, mais c’est différent. Je crois que vous ne m’avez pas compris. A travers toutes mes créations et mes établis, je dénonçais l’éclat de l’intime face au monde, je dénonçais la demande que vous m’avez faite. Avez-vous seulement lu mon roman, ou n’avez-vous fait que ce pour lequel vous êtes reconnu : prêter une oreille attentive à ceux et à ce qui vous entourent, et répondre à leurs envies, comme un Dieu asexué pour lequel on prie ? Alors vous avez exaucés leurs désirs, vous avez attrapé votre plus belle plume, et vous avez accouché d’une lettre faussement stylisée, polie, construite, comme tout animateur, me proposant une invitation que je décline là irrespectueusement, parce que suffisant du pouvoir que vous croyez détenir sur tout ce qu’il y a autour. Autour de vous, autour de vous et de votre émission. Si mon autobiographie vous avait réellement émue, touchée, ou même ne serait-ce qu’intrigué, vous n’auriez même pas osé avoir la prétention de croire que j’aurai pu répondre par l’affirmative à votre convocation.
J’ai déjà écris que la contradiction m’avait donné naissance (vous auriez peut-être du me lire en fin de compte, pensez-vous ?), et elle m’épuise mais me garde en vie encore aujourd’hui. Je n’aspire pas à la célébrité, les salons à Paris, les tapis à Cannes, les podiums à New York, tous ces rêves ne sont que minauderies de futures princesses qui idolâtreront la société parce qu’elle leur aura donné une place illuminée dans le monde. Illuminée par leurs doyens : vous. Quand j’ai écris les premiers mots, ainsi que les derniers d’ailleurs, je crachais sur les Grands qui vouent un culte à eux-mêmes et à ce que les autres veulent d’eux, et je crachai sur eux parce que ce sont de ces Grands qui ont osés me donner naissance, à moi et à la marginalité qui me fait tout entier, qui me fait me contenter de moi parce que je fuis le reste. Mes parents auraient joyeusement acceptés votre invitation, et c’est parce qu’ils m’ont blessés, ils m’ont violés, ils m’ont détruits, ils m’ont voulu pathétique à la face du monde, moi, l’Autre, le Différent, je la refuse. Vous m’avez donné une importance dont je me suis toujours caché, et vous persévérer dans votre quête de ma persécution en me demandant le plus innocemment possible, si je peux venir raconter mon histoire, témoigner. Mais témoigner de quoi ? De l’horreur ? Du dégoût ? L’horreur et le dégoût sont partout. Regarder vos invités : ils sont tous horribles et dégoûtants. Ils croient tous parler d’eux pour informer, mais chaque mot qui glisse entre leurs lèvres est métamorphosé par votre machination, et sort d’eux comme un modèle. Un modèle, une étoile, que le monde va suivre. Alors le monde ne sera plus six milliards, il ne sera qu’un, et ses ridicules composants croiront qu’on leur a donné une grandeur pour avoir le pouvoir sur le reste du monde, et toutes les princesses seront écrivains, actrices ou mannequins.
Alors non, je ne viendrais pas. Vous devez être blessé, déçu. Je l’ai été aussi. Faites de mon courrier ce que vous désirez, ce que l’on désire de vous, mais ne croyez pas qu’il me détruira et que je culpabiliserais. Ce ne sera que l’aboutissement de mon œuvre.
Adieu, M.K.